On trouve des traces du roman historique de l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne – que l’on songe aux Aventures de Télémaque de Fénelon ou à La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette. C’est cependant principalement à partir du dix-neuvième siècle que ce type d’écrit prend tout son essor, avec l’avènement du romantisme qui ouvre la voie au genre du roman et au voyage dans l’imaginaire historique. Alexandre Dumas, qui ne sera pas cité dans cette liste, en est la quintessence.
La liste suivante propose dix grands romans historiques à découvrir ou redécouvrir, qui vont de l’Antiquité jusqu’à la guerre de Sécession.
1. Salammbô, G. Flaubert
241 avant Jésus-Christ. La première guerre punique ayant opposé les deux plus grandes puissances du monde méditerranéen, Rome et Carthage, est terminée. Carthage est ruinée. Elle n’a plus les moyens de payer les mercenaires engagés pour renforcer l’armée. Une révolte éclate : à la guerre punique succède la guerre civile. Flaubert raconte dans un style épique les horreurs de cette période trouble symbolisée par l’amour de la prêtresse Salammbô et du mercenaire Mathô.
Mais une barre lumineuse s’éleva du côté de l’Orient. À gauche, tout en bas, les canaux de Mégara commençaient à rayer de leurs sinuosités blanches les verdures des jardins. Les toits coniques des temples heptagones, les escaliers, les terrasses, les remparts, peu à peu, se découpaient sur la pâleur de l’aube ; et tout autour de la péninsule carthaginoise une ceinture d’écume blanche oscillait tandis que la mer couleur d’émeraude semblait comme figée dans la fraîcheur du matin. À mesure que le ciel rose allait s’élargissant, les hautes maisons inclinées sur les pentes du terrain se haussaient, se tassaient telles qu’un troupeau de chèvres noires qui descend des montagnes. Les rues désertes s’allongeaient ; les palmiers, çà et là sortant des murs, ne bougeaient pas ; les citernes remplies avaient l’air de boucliers d’argent perdus dans les cours ; le phare du promontoire Hermæum commençait à pâlir. Tout en haut de l’Acropole, dans le bois de cyprès, les chevaux d’Eschmoûn, sentant venir la lumière, posaient leurs sabots sur le parapet de marbre et hennissaient du côté du soleil.
Il parut ; Spendius, levant les bras, poussa un cri.
Tout s’agitait dans une rougeur épandue, car le dieu, comme se déchirant, versait à pleins rayons sur Carthage la pluie d’or de ses veines. Les éperons des galères étincelaient, le toit de Khamon paraissait tout en flammes, et l’on apercevait des lueurs au fond des temples dont les portes s’ouvraient. Les grands chariots arrivant de la campagne faisaient tourner leurs roues sur les dalles des rues. Des dromadaires chargés de bagages descendaient les rampes. Les changeurs dans les carrefours relevaient les auvents de leurs boutiques. Des cigognes s’envolèrent, des voiles blanches palpitaient. On entendait dans le bois de Tanit le tambourin des courtisanes sacrées, et à la pointe des Mappales, les fourneaux pour cuire les cercueils d’argile commençaient à fumer.
2. Ivanhoé, W. Scott
1066. Le roi anglo-saxon Harold II est vaincu par le duc de Normandie Guillaume, dit le Conquérant, à la bataille d’Hastings. La même année le vainqueur est sacré roi d’Angleterre ; mais les barons saxons continuent de résister à l’envahisseur normand. C’est dans ce contexte que le chevalier déshérité – el Desdichado – Ivanhoé retrouve son pays après être parti en croisade. Il devra défendre l’honneur de son roi spolié et regagner l’amour de Lady Rowena, promise à un noble saxon.
Dans cette plaisante région de la Joyeuse Angleterre qu’arrose la rivière Don s’étendait autrefois une vaste forêt couvrant la plus grande partie des collines et vallées qui se trouvent entre Sheffield et la jolie ville de Doncaster. On peut encore voir les vestiges de cette grande étendue boisée sur les magnifiques domaines de Wentworth, de Warncliffe Park et autour de Rotherham. C’est cet endroit que hantait dans les anciens temps le fabuleux dragon de Wantley ; c’est là que furent livrées beaucoup des batailles les plus acharnées pendant la guerre des Deux-Roses ; et c’est là aussi que fleurissaient jadis ces compagnies de vaillants hors-la-loi dont les chansons anglaises ont rendu les exploits si populaires.
3. Les Rois maudits, M. Druon
1314. Le grand maître de l’Ordre du Temple Jacques de Molay est brûlé vif sur l’île aux Juifs. Son crime le plus grave fut d’avoir concurrencé le pouvoir royal de Philippe le Bel. Juste avant de mourir il maudit le roi de France et sa descendance. Commence alors une ère sombre emplie de complots et d’assassinats qui verra périr tour à tour les trois fils du roi sans descendance et qui mènera à la terrible guerre de Cent Ans.
Au début du quatorzième siècle, Philippe IV, roi d’une beauté légendaire, régnait sur la France en maître absolu. Il avait vaincu l’orgueil guerrier des grands barons, vaincu les Flamands révoltés, vaincu l’Anglais en Aquitaine, vaincu même la Papauté qu’il avait installé de force en Avignon. Les Parlements étaient à ses ordres et les conciles à sa solde.
Trois fils majeurs assuraient sa descendance. Sa fille était mariée au roi Édouard II d’Angleterre. Il comptait six autres rois parmi ses vassaux, et le réseau de ses alliances s’étendait jusqu’à la Russie.
Aucune richesse n’échappait à sa main. Il avait tour à tour taxé les biens de l’Église, spolié les Juifs, frappé les compagnies de banquiers lombards. Pour faire face aux besoins du Trésor, il pratiquait l’altération des monnaies. Du jour au lendemain, l’or pesait moins lourd et valait plus cher. Les impôts étaient écrasants ; la police foisonnait. Les crises économiques engendraient ruines et pénuries qui, elles-mêmes, engendraient des émeutes étouffées dans le sang. Les révoltes s’achevaient aux fourches des gibets. Tout devait s’incliner, plier ou rompre devant l’autorité royale.
Mais l’idée nationale logeait dans la tête de ce prince calme et cruel pour qui la raison d’État dominait toutes les autres. Sous son règne, la France était grande et les Français malheureux.
Un seul pouvoir avait osé lui tenir tête : l’Ordre souverain des chevaliers du Temple. Cette colossale organisation, à la fois militaire, religieuse et financière, devait aux croisades, dont elle était issue, sa gloire et sa richesse.
L’indépendance des Templiers inquiétait Philippe le Bel, en même temps que leurs biens immenses excitaient sa convoitise. Il monta contre eux le plus vaste procès dont l’Histoire ait gardé le souvenir, puisque ce procès pesa sur près de quinze mille inculpés. Toutes les infamies y furent perpétrées, et il dura sept ans.
C’est au terme de cette septième année que commence notre récit.
4. Le Roman de Monsieur de Molière
1673. En plein cœur du classicisme français Molière joue, habillé de vert, Le Malade imaginaire. Il tousse, il est essoufflé. Il termine néanmoins à grand peine sa représentation. Il s’éteint quelques heures plus tard à son domicile d’une maladie qui ressemble à la tuberculose. Mikhaïl Boulgakov, véritable passionné, redonne vie à ce génie du théâtre dans Le Roman de Monsieur de Molière, la biographie qu’il lui a consacrée.
Une accoucheuse qui avait appris son art à la maternité de l’Hôtel-Dieu de Paris sous la direction de la fameuse Louise Bourgeois délivra le 13 janvier 1622 la très aimable madame Poquelin, née Cressé, d’un premier enfant, un prématuré de sexe masculin.
Je peux dire sans crainte de me tromper que si j’avais pu expliquer à l’honorable sage-femme qui était celui qu’elle mettait au monde, elle eût pu d’émotion causer quelque dommage au nourrisson, et du même coup à la France.
Et voilà : j’ai une veste aux poches immenses et à la main une plume non d’acier, mais d’oie.
Devant moi se consument des bougies de cire, et mon cerveau est enflammé.
– Madame, dis-je, faites attention au bébé, n’oubliez pas qu’il est né avant terme. La mort de ce bébé serait une très grande perte pour votre pays !
– Mon Dieu ! Madame Poquelin en fera un autre !
– Madame Poquelin n’en fera jamais plus un semblable, et aucune dame n’en fera de semblable avant un certain nombre de siècles.
– Vous m’étonnez, monsieur !
– Je suis moi-même étonné. Comprenez bien que dans trois siècles, dans un pays lointain, je ne me souviendrai de vous que parce que vous aurez tenu dans vos mains le fils de monsieur Poquelin.
– J’ai tenu dans mes mains des enfants plus illustres.
– Qu’entendez-vous par le mot « illustre » ? Ce bébé deviendra plus célèbre que votre roi régnant Louis XIII, plus renommé que le roi suivant, et ce roi, madame, sera appelé Louis le Grand ou le Roi-Soleil !
5. Le Parfum, P. Süskind
1738. Madame Grenouille, une jeune femme de vingt-cinq ans, met au monde un enfant qui deviendra à la fois l’un des plus grands nez du monde et un redoutable tueur en série. Patrick Süskind raconte cette histoire folle dans un roman qui relève à fois du policier, de l’historique et du fantastique.
À l’époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes. Les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l’urine, les cages d’escalier puaient le bois moisi et la crotte de rat, les cuisines le chou pourri et la graisse de mouton ; les pièces d’habitation mal aérées puaient la poussière renfermée, les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courtepointes moites et le remugle âcre des pots de chambre. Les cheminées crachaient une puanteur de soufre, les tanneries la puanteur de leurs bains corrosifs, et les abattoirs la puanteur du sang caillé. Les gens puaient la sueur et les vêtements non lavés ; leurs bouches puaient les dents gâtées, leurs estomacs puaient le jus d’oignon, et leurs corps, dès qu’ils n’étaient plus tout jeunes, puaient le vieux fromage et le lait aigre et les tumeurs éruptives. Les rivières puaient, les places puaient, les églises puaient, cela puait sous les ponts et dans les palais. Le paysan puait comme le prêtre, le compagnon tout comme l’épouse de son maître artisan, la noblesse puait du haut jusqu’en bas, et le roi lui-même puait, il puait comme un fauve, et la reine comme une vieille chèvre, été comme hiver. Car en ce XVIIIè siècle, l’activité délétère des bactéries ne rencontrait encore aucune limite, aussi n’y avait-il aucune activité humaine, qu’elle fût constructive ou destructive, aucune manifestation de la vie en germe ou bien à son déclin, qui ne fût accompagnée de puanteur.
6. La Révolution, R. Margerit
1789. La Révolution éclate. D’innombrables textes ont été écrits pour chercher à comprendre les causes de cet événement historique à la fois brutal et inévitable ; mais peu d’auteurs se sont risqués à raconter la Révolution au jour le jour, telle qu’elle a été vécue par ses contemporains. Robert Margerit, injustement méconnu et qui fut pourtant l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle, a travaillé plus de dix ans pour raconter presque heure par heure la fébrilité qui s’est emparée de la France à partir de mai 1789. Son roman La Révolution, un chef-d’œuvre, est peut-être l’un des textes qui retranscrit le mieux toute la fureur de ce grand moment.
Le jeune Fernand avait abordé au quai de l’Arsenal, puis fait le tour en courant par la contrescarpe, le long des fossés de Paris. Il arrivait à la jonction du faubourg avec la rue Saint-Antoine. Là il trouva de nombreux équipages dont les maîtres en beaux habits se mêlaient à une foule de curieux remplissant la rotonde de la porte Saint-Antoine, le cours, la place de la Bastille. On entendait les hurlements, les coups de feu, mais on n’apercevait rien que de la fumée et une autre foule plus populaire, massée dans la rue Saint-Antoine. Tout semblait se produire sur la face sud, du côté de l’Arsenal. Fernand, se faufilant parmi les groupes, s’avança vers une porte cochère prise, à l’angle de la place, entre deux des boutiques cachant les fossés. Les vantaux étaient démolis, on sortait par là des corps sanglants. Se faufilant sous ce porche dans le va-et-vient, la rumeur, une âcre fumée de paille qui prenait à la gorge, il se trouva au milieu de la presse, entraîné au long d’une espère de cour triangulaire entre des maisons. Elle s’élargissait en tournant à angle droit. Parvenu là, Fernand découvrit enfin ce qui se passait à la Bastille. Des créneaux de ce côté-ci, par les meurtrières des deux tours du sud, et par d’autres ouvertures plus basses, on tirait sur les gens qui avaient franchi un pont mobile dont les chaînes brisées pendaient aux poutres de levage. Dans l’ombre où baignait cette façade, les coups de feu faisaient, au milieu de la fumée, des jets rouges. Des hommes montés sur les toits des maisons ripostaient. Leurs balles arrachaient des éclats à la pierre, criblaient de trous blancs les mâchicoulis, le tour des meurtrières. Il y avait un terrible vacarme de cris, de détonations, une bousculade. Une odeur poivrée, grisante, dominait celle de la paille brûlant sur des charrettes poussées contre des bâtiments auxquels elle mettait le feu. C’était infernal et sensationnel. Ça vous serrait le ventre, ça vous faisait crier. Emballé, Fernand passa lui aussi le pont-levis, pour entrer dans la petite cour, au cœur même du tumulte. Il n’y resta pas longtemps. Il ne faisait vraiment pas bon, par ici. L’air sifflait de toutes parts, des choses bourdonnantes, miaulantes, crépitaient contre les pierres. Il s’abrita derrière un chariot en flammes que l’on roulait contre un autre pont-levis, au pied même de la forteresse, puis battit en retraite vers le premier pont.
Pour un autre roman intéressant sur la période révolutionnaire – particulièrement de la Terreur – et qui se concentre plus sur le domaine des arts, lire Les Dieux ont soif, d’Anatole France.
7. Quatrevingt-treize, V. Hugo
1793. La Révolution est consommée. La monarchie est renversée et la Convention s’élève dans la terreur. La Vendée, toujours fidèle au roi, se révolte : c’est la guerre civile. Dans Quatrevingt-treize, Hugo raconte sur un ton épique et romantique le duel à mort qui se joue entre une troupe vendéenne et un détachement républicain. Outre les grands thèmes récurrents – l’océan, la filiation, la misère – tout le style hugolien est condensé dans ce roman qui fut son dernier : le ton épique associé au lyrisme propre au romantisme, la réflexion politique et la prose poétique.
Esprits en proie au vent.
Mais ce vent était un vent de prodige.
Être un membre de la Convention, c’était être une vague de l’Océan. Et ceci était vrai des plus grands. La force d’impulsion venait d’en haut. Il y avait dans la Convention une volonté qui était celle de tous et n’était celle de personne. Cette volonté était une idée, idée indomptable et démesurée qui soufflait dans l’ombre du haut du ciel. Nous appelons cela la Révolution. Quand cette idée passait, elle abattait l’un et soulevait l’autre ; elle emportait celui-ci en écume et brisait celui-là aux écueils. Cette idée savait où elle allait, et poussait le gouffre devant elle. Imputer la révolution aux hommes, c’est imputer la marée aux flots.
La révolution est une action de l’Inconnu. Appelez-la bonne action ou mauvaise action, selon que vous aspirez à l’avenir ou au passé, mais laissez-la à celui qui l’a faite. Elle semble l’œuvre en commun des grands événements et des grands individus mêlés, mais elle est en réalité la résultante des événements. Les événements dépensent, les hommes payent. Les événements dictent, les hommes signent. Le 14 juillet est signé Camille Desmoulins, le 10 août est signé Danton, le 2 septembre est signé Marat, le 21 septembre est signé Grégoire, le 21 janvier est signé Robespierre ; mais Desmoulins, Danton, Marat, Grégoire et Robespierre ne sont que des greffiers. Le rédacteur énorme et sinistre de ces grandes pages a un nom, Dieu, et un masque, Destin. Robespierre croyait en Dieu. Certes !
La Révolution est une forme du phénomène immanent qui nous presse de toutes parts et que nous appelons la Nécessité.
Devant cette mystérieuse complication de bienfaits et de souffrances se dresse le Pourquoi ? de l’histoire.
Parce que. Cette réponse de celui qui ne sait rien est aussi la réponse de celui qui sait tout.
En présence de ces catastrophes climatériques qui dévastent et vivifient la civilisation, on hésite à juger le détail. Blâmer ou louer les hommes à cause du résultat, c’est presque comme si on louait ou blâmait les chiffres à cause du total. Ce qui doit passer passe, ce qui doit souffler souffle. La sérénité éternelle ne souffre pas de ces aquilons. Au-dessus des révolutions la vérité et la justice demeurent comme le ciel étoilé au-dessus des tempêtes.
8. La Guerre et la Paix, L. Tolstoï
1805. La Russie des Tsars observe d’un œil inquiet la geste napoléonienne. Les familles Bézoukhov, Bolkonski et Rostov se mêlent et s’entremêlent dans une gigantesque saga historique et familiale où l’on croise Alexandre et Napoléon et où l’on peut lire les meilleures descriptions littéraires de la bataille d’Austerlitz et de la campagne de Russie.
Comme dans l’horloge où le résultat du mouvement des innombrables rouages n’est que le mouvement lent et régulier des aiguilles qui indiquent l’heure, ainsi le résultat des centaines d’actions complexes de ces cent soixante mille hommes, russes et français, des passions, des désirs, des remords, des humiliations, des souffrances, des élans d’orgueil, des craintes, des enthousiasmes de tous ces hommes, fut uniquement la bataille d’Austerlitz, la bataille des trois empereurs : une légère avance de l’aiguille de l’histoire universelle sur le cadran de la destinée de l’humanité.
[…]
Telle une bête furieuse touchée mortellement dans sa course, l’envahisseur sentait qu’il était perdu. La conséquence directe de la bataille de Borodino, ce fut la fin de la France napoléonienne sur laquelle s’était appesanti pour la première fois le bras d’un adversaire moralement supérieur.
[…]
« L’Empereur c’est la générosité, la clémence, la justice, l’ordre et le génie ! Il m’a vaincu, cet homme, il m’a empoigné. Je n’ai pas pu résister au spectacle de grandeur et de gloire dont il couvrait la France. Quand j’ai compris ce qu’il voulait, quand j’ai vu qu’il nous faisait une litière de lauriers, je me suis dit : voilà un souverain ! C’est le plus grand homme des siècles passés et à venir. »
Pour un roman historique qui relate le vol de l’Aigle de Golfe-Juan à Paris en 1815, lire La Semaine sainte de Louis Aragon.
9. L’Or, B. Cendrars
1848. Le général Suter qui a conquis la Californie découvre un gisement d’or sur son terrain. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. En 1849, c’est la ruée : les terres de Suter sont dévastées par les milliers de chercheurs qui se précipitent du monde entier pour le dépouiller. Blaise Cendrars raconte dans L’Or cette histoire incroyable d’un homme ruiné par la découverte de l’or. Le style est épique, l’histoire est romancée ; mais la narration est passionnante et rappelle, à bien des égards, la propre vie de Cendrars.
Le port.
Le port de New York.
1834.
C’est là que débarquent tous les naufragés du vieux monde. Les naufragés, les malheureux, les mécontents. Les hommes libres, les insoumis. Ceux qui ont eu des revers de fortune ; ceux qui ont tout risqué sur une seule carte ; ceux qu’une passion romantique a bouleversés. Les premiers socialistes allemands, les premiers mystiques russes. Les idéologues que les polices d’Europe traquent ; ceux que la réaction chasse. Les petits artisans, premières victimes de la grosse industrie en formation. Les phalanstériens français, les carbonari, les derniers disciples de Saint-Martin, le philosophe inconnu, et des Ecossais. Des esprits généreux, des têtes fêlées. Des brigands de Calabre, des patriotes hellènes. Les paysans d’Irlande et de Scandinavie. Des individus et des peuples victimes des guerres napléoniennes et sacrifiés par les progrès diplomatiques. Les carlistes, les Polonais, les partisans de Hongrie. Les illuminés de toutes les révolutions de 1830 et les derniers libéraux qui quittent leur patrie pour rallier la grande République, ouvriers, soldats, marchands, banquiers de tous les pays, même sud-américains, complices de Bolivar. Depuis la Révolution française, depuis la déclaration de l’Indépendance (vingt-sept ans avant l’élection de Lincoln à la présidence), en pleine croissance, en plein épanouissement, jamais New York n’a vu ses quais aussi continuellement envahis. Les émigrants débarquent jour et nuit, et dans chaque bateau, dans chaque cargaison humaine, il y a au moins un représentant de la forte race des aventuriers.
Johann August Suter débarque le 7 juillet, un mardi. Il a fait un vœu. À quai, il saute sur le sol, bouscule les soldats de la milice, embrasse d’un seul coup d’œil l’immense horizon maritime, débouche et vide d’un trait une bouteille de vin du Rhin, lance une bouteille vide parmi l’équipage nègre d’un bermudien. Puis il éclate de rire et entre en courant dans la grande ville inconnue, comme quelqu’un de pressé et que l’on attend.
10. Autant en emporte le vent
1861. La guerre de Sécession éclate. Elle ne finira que quatre ans plus tard avec la défaite du Sud, l’abolition de l’esclavage et l’assassinat de Lincoln. Margaret Mitchell décrit dans Autant en emporte le vent l’anéantissement des États du Sud vu par une famille de Confédérés. Derrière l’amour passionnel de la frivole Scarlett O’Hara et du cynique Rhett Butler, c’est toute la guerre civile qui se déroule sous nos yeux, immense toile de fond d’une apocalypse nécessaire.
Cependant, ces infamies n’étaient rien en comparaison du danger auquel étaient exposées les femmes blanches dont un grand nombre, privées par la guerre de leurs protecteur naturels, vivaient isolées à la campagne ou en bordure de chemins déserts. Ce fut la multiplicité des attentats perpétrés contre les femmes et le désir de soustraire leurs épouses et leurs filles à ce péril qui exaspéra les hommes du Sud et les poussa à fonder le Ku Klux Klan. ce fut aussi contre cette organisation, qui opérait la nuit, que les journaux du Nord se mirent à vitupérer, sans jamais se rendre compte de la tragique nécessité qui avait présidé à sa formation. Le Nord voulait qu’on pourchassât tous les membres du Klan et qu’on les pendît pour oser se charger eux-mêmes de punir les crimes, à une époque où les loi et l’ordre public étaient bafoués par les envahisseurs.
En ce temps-là, on assistait au spectacle ahurissant d’une nation dans la moitié s’efforçait d’imposer à l’autre la domination des noirs, à la pointe des baïonnettes. Tout en le refusant à leurs anciens maîtres, le Nord voulait accorder le droit de vote à ces nègres qui souvent n’avaient quitté la brousse africaine que depuis une génération à peine. Le Nord entendait maintenir le Sud sous sa botte, et privé les blancs de leurs droits était un des moyens de l’empêcher de se relever. La plupart des hommes qui s’étaient battus dans les rangs confédérés ou qui avaient occupé une charge publique dans la Confédération n’avaient pas plus le droit de voter que de choisir les fonctionnaires. Bon nombre d’entre eux, à l’exemple du général Lee, souhaitaient de prêter le serment d’allégeance, de redevenir des citoyens et d’oublier le passé mais on ne le leur permettait pas. D’autres, auxquels on voulait bien laisser prêter serment, s’y refusaient avec énergie, en déclarant qu’ils ne voulaient pas jurer fidélité à un gouvernement qui leur infligeait délibérément toute sorte de cruautés et d’humiliations.
Nuit et jour, la peur et l’anxiété dévoraient Scarlett.
[…]
– Vous souvenez-vous…, dit-il et, sous le charme de sa voix, les murs nus du petit bureau disparurent, les années s’effacèrent.
C’était le printemps, ils suivaient tous deux à cheval une sente cavalière. À mesure qu’il parlait, ses mains serraient davantage la sienne et sa voix devenait prenante et triste comme des vieilles chansons à demi oubliées. Ils se rendaient à la garden-party des Tarleton, et cheminaient sous la voûte des cornouillers en fleur. Scarlett entendait le cliquetis joyeux des gourmettes, elle entendait fuser son rire insouciant, elle voyait briller au soleil la chevelure d’Ashley couleur d’or blanc, elle remarquait avec quelle grâce altière il se tenait en selle. Il y avait de la musique dans sa voix, la musique des violons et des banjos au son desquels ils avaient dansé dans la maison blanche qui n’existait plus. C’était l’automne, les chiens de chasse aboyaient au loin, les marais restaient sombres sous la lune froide. C’était aussi Noël. Les cruches, toutes chamarrées de gui, étaient remplies de lait de poule au vin et sentaient bon. Les visages blancs et noirs s’épanouissaient. Les amis d’autrefois arrivaient en foule. Ils souriaient comme s’ils n’étaient pas morts depuis des années. Stuart et Brent avec leurs longues jambes, leurs cheveux rouges et leurs plaisanteries. Tom et Boyd fougueux comme de jeunes chevaux. Joe Fontaine avec son regard ardent, et Cade et Raiford Calvert, si élégants dans leur nonchalance. Il y avait aussi John, et Gérald, congestionné par le cognac. Un murmure, un parfum discret, c’était Ellen. De tous ces gens, de toutes ces choses, se dégageait un sentiment de sécurité, l’assurance que le lendemain leur apporterai un bonheur égal à celui du jour même.
Bonus : Cooper et Yourcenar
James Fenimore Cooper, adulé par Hugo, est l’auteur de nombreux romans historiques parmi lesquels figure Le Dernier des Mohicans. Il a aussi écrit Le Corsaire Rouge, un roman de piraterie réédité en juin 2021 par Gallimard dans la collection Folio Classique.
On ne présente plus Marguerite Yourcenar, première femme à avoir été élue à l’Académie française grâce aux efforts de Jean d’Ormesson. Ses deux romans les plus célèbres sont Les Mémoires d’Hadrien qui retrace la vie du célèbre empereur romain et L’œuvre au Noir, qui retrace la vie d’un humaniste du seizième siècle.
Lectures conseillées :
- Salammbô, G. Flaubert (1862).
- Ivanhoé, W. Scott (1819).
- Les Rois maudits, M. Druon (1959).
- L’œuvre au noir, M. Yourcenar (1968).
- Le Roman de Monsieur de Molière, M. Boulgakov (1962).
- Le Parfum, P. Süskind (1985).
- Le Corsaire Rouge, J. F. Cooper (1827).
- La Révolution, R. Margerit (1963).
- Les Dieux ont soif, A. France (1912).
- Quatrevingt-treize, V. Hugo (1874).
- La Guerre et la Paix, L. Tolstoï (1867).
- La Semaine sainte, L. Aragon (1958).
- L’Or, B. Cendrars (1925).
- Autant en emporte le vent, M. Mitchell (1950).