Splendeurs et misères du Parlement

Article paru dans Causeur le 16 mars 2023

 

« Raisonner là où il faut sentir est le propre des âmes sans portée », écrivait Balzac en son temps. Cette sage maxime, les élus du moment et les ministres en poste, à qui l’on reproche trop souvent leur propension à une certaine technocratie, feraient bien de s’en inspirer plus souvent.

Pourtant, Sentir les aspirations profondes d’une nation, n’est pas tant difficile : il suffit d’ouvrir grand la fenêtre de la tour d’ivoire, de pencher la tête, et de lire les slogans des manifestants qui déambulent dans les rues de toutes les villes de France, depuis maintenant des semaines, des mois, voire des années. Nulle « poloche » là-dedans – pour reprendre les mots du Garde des Sceaux. Et pourquoi ne pas commencer par les revendications des Gilets jaunes, dont la liste publiée le 23 novembre 2018 – voici maintenant presque cinq ans ! – était particulièrement riche en enseignements ?

Et cependant, le chef de l’État, par les voix de ses ministres, paraît encore bien loin d’être disposé à regarder son peuple en face : et plutôt que de prendre des mesures simples, populaires et efficaces – en vrac, une baisse des charges, une politique nataliste, un retour à la verticalité exécutive par l’octroi de véritables moyens d’action aux corps enseignant et policier –, il préfère proposer tantôt une loi de circonstance et redondante, comme la création d’un nouveau délit d’homicide routier (« les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », disait Montesquieu, et de cette maxime aussi, le gouvernement ferait bien de s’inspirer), et tantôt une réforme des retraites incompréhensible, qui réussit tout de même ce petit prodige d’attiser contre elle une impopularité presque unanime.

Le Parlement s’en émeut, mais ne fait rien: pire, il s’attire autant que la majorité présidentielle la haine du peuple, par une opposition factice qui n’est que de théâtre – un théâtre plus proche de la farce bouffonne ou du vaudeville de boulevard, que de la comédie classique ! Ainsi des représentants de la France Insoumise, poussés par un sens de l’épique qui leur sied fort mal. Ils se prennent pour des députés de la Montagne, et poussent, tels des animaux de basse-cour, des cris, nous infligent des gesticulations, des hâbleries de Gascons – qui n’aboutissent qu’à des oppositions crétines, des jeans troués, des obstructions inutiles, ou des propositions de lois retirées sitôt que le Rassemblement National, qui, semble-t-il, craint moins qu’eux la démocratie, les vote parce qu’il a l’audace de les trouver bonnes.

Cette opposition se veut-elle populaire, en contradiction avec l’élitisme apparent et déconnecté d’un gouvernement qu’elle honnit ? Mais elle ne sait pas plus sentir le peuple : même, elle le dégoûte par son attitude ; et si la vague de l’antiparlementarisme, sur laquelle surfe l’exécutif avec un plaisir non dissimulé, n’a jamais été si forte, c’est bien parce que l’opposition rend l’Assemblée misérable – à tel point que c’est la rue, qui, de manière de plus en plus systématique, cherche à pallier son incurie.

Le Parlement n’a pas toujours été cette chambre inutile, poids mort du gouvernement, qui lasse tout le monde quand elle tente, aussi vainement que pitoyablement, de s’opposer aux volontés régaliennes avec les maigres moyens qui lui restent. D’abord chambre de justice – nous ne parlons que de celui de Paris –, puis d’enregistrement, il s’avisa, au 17e siècle, que s’il pouvait publier les actes royaux, il pouvait aussi refuser de le faire : le ver était dans le fruit. L’État, par le fait des choses, avait poussé malgré lui à la constitution d’un puissant organe d’opposition : presque aussitôt, le bras de fer, terrible, s’engageait entre le monarque et son Premier ministre – Louis XIII et Richelieu –, tous deux poussant à l’absolutisme, et le Parlement, déjà conscient des dangers du pouvoir absolu (« c’est une expérience éternelle, disait encore Montesquieu, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser »). Cette bataille institutionnelle entre le pouvoir et l’opposition, entre la Couronne et le Parlement, avait du panache : c’est que le second valait bien la première – car il fut grand, en son temps.

À ce propos, nous ne saurions que trop conseiller la lecture des Mémoires du Cardinal de Retz, une œuvre injustement déconsidérée, et qui, pourtant, constitue le témoignage admirable d’un moment charnière de l’histoire de France – celui du triomphe de l’absolutisme centralisateur sur l’opposition parlementaire, qui, semble-t-il, reste étonnamment d’actualité : car c’est bien de là que vient le mépris de l’exécutif pour une Assemblée nationale superflue, quand elle n’est pas simplement agaçante.

L’on s’indigne de la violence parlementaire ; la majorité présidentielle, fort peu démocratique, qui depuis maintenant des décennies a oublié ce qu’est une opposition, perd ses nerfs : c’est le ministre de la Justice qui fait des bras d’honneur, c’est la députée des Yvelines qui sanglote au micro de l’Assemblée pour avoir été chahutée. Il ne serait pourtant pas inutile de rappeler à quel point cette opposition est peau de chagrin, à côté de celle du rebelle cardinal: qu’est-elle donc devenue, la fière bête de Broussel et de Molé ? Un pauvre monstre législatif agonisant, réduit aux expectorations d’une opposition de pacotille: une chambre d’enregistrement (que l’on en juge : huit lois sur dix sont des projets émanant du gouvernement) dont la circularité fait penser au manège d’un cirque, plutôt qu’à une Agora citoyenne. Il serait temps que les députés se souviennent que le pouvoir législatif leur appartient seul ; et que seul le pouvoir exécutif, celui de faire exécuter les lois, échet au gouvernement. Que les premiers, à commencer par les Républicains, s’abreuvent donc aux sources de leur légitimité, et se rappellent qu’ils sont un pouvoir égal, sinon supérieur, à celui d’une bande de technocrates nommés par un président élu par une minorité d’inscrits aux listes électorales ; et que le second cesse de légiférer sur la fessée, TikTok ou l’homicide routier, et fasse enfin appliquer la loi : car, pour l’heure, c’est bien tout ce qu’on lui demande.

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