Sur Catherine de Médicis – Balzac contre le protestantisme

Portrait de Catherine de Médicis attribué à F. Clouet (coll. Musée du Louvre)
Portrait de Catherine de Médicis attribué à F. Clouet (coll. Musée du Louvre)

Pourquoi refuser de nos jours à la majestueuse adversaire de la plus inféconde des hérésies la grandeur qu’elle a tirée de sa lutte même ?
H. de Balzac


Je parlais récemment du mystérieux génie de Céline ; on ferait les mêmes réflexions à propos de l’auteur de la Comédie humaine.

Sur Catherine de Médicis, qui ne ressemble à rien de Balzac, est en même temps tout Balzac : format étrange et sublime, que ce rassemblement de textes épars composés entre 1830 et 1843 pour la Revue des Deux Mondes, pour la Chronique de Paris, pour le Siècle ; écriture bâtarde et pourtant fascinante, que ce torrent verbeux magnifique, cette coulure d’encre qui charrie des lumières, où les réflexions les plus hautes se mêlent aux affirmations les plus basses !… On ne parle guère de cet ouvrage de Balzac, et pour cause : c’est l’un de ses textes les plus politiques. Hélas ! les opinions du romanciers ne sont pas celles du saint Hugo : elles gênent aux entournures. Et en effet, qui douterait du conservatisme de Balzac n’aurait qu’à lire cette œuvre étonnante, dédiée au marquis de Pastoret : il y découvrirait le testament politique d’un homme qui croit au Roi et à la Religion, fait l’éloge des corporations (« Oserez-vous dire que le défaut de concurrence ôtait le sentiment de la perfection, empêchait la beauté des produits, vous dont l’admiration pour les œuvres des antiques Maîtrises a créé la profession nouvelle de marchand de bric-à-brac ? ») et peste contre « l’individualisme, produit horrible de la division à l’infini des héritages qui supprime la famille »… d’un homme encore qui méprise la République, condamne le protestantisme non moins sévèrement que Joseph de Maistre, et justifie le massacre de la Saint-Barthélémy par le bien supérieur de l’État ! « Souvenez-vous que, pour épargner quelques gouttes de sang dans un moment opportun, on en laisse verser plus tard par torrents. » Écrits de jeunesse, dira-t-on, du temps où le romantisme était royaliste, où Victor Hugo publiait les Odes et ballades, louait Charles X, pleurait la Vendée ?… que nenni !… Balzac a réuni ses écrits et rédigé sa préface en 1843, soit à 42 ans, et 7 ans seulement avant sa mort !

Dès la préface, l’auteur donne le ton : 1° l’histoire est relative ; 2° le pouvoir a tous les droits pour se maintenir, surtout quand il est légitime ; 3° « il n’y a pas de politique possible avec la discussion en permanence ». Il résulte des trois axiomes qui précèdent que : 1° la mauvaise réputation de Catherine de Médicis, historique, peut être renversée ; 2° cette femme qui possédait « au plus haut degré le sentiment de la royauté » ne pouvait triompher « autrement que par la ruse » ; 3° la Saint-Barthélémy fut un mal nécessaire, mieux, une simple action de l’État pour sauver « les monarchies, la religion, le pouvoir ébranlés »… et la reine n’a fait que prononcer, dans un moment où tout atermoiement eût été périlleux, « un arrêt de mort contre cet esprit d’examen qui menaçait les sociétés modernes, arrêt que Louis XIV a fini par exécuter ».

Balzac, donc, à rebours de l’opinion commune, trouve du génie dans la politique à la machiavel de Catherine de Médicis. La critique a cru relever une belle contradiction de l’auteur, en lisant quelques lignes plus loin : « ne demandez jamais rien de grand aux intérêts, parce que les intérêts peuvent changer ; mais attendez tout des sentiments, de la foi religieuse, de la foi monarchique, de la foi patriotique » ; cette critique n’avait pas lu la suite, ou ne l’avait pas comprise : pour Balzac, c’est précisément le « sentiment » qui donne la force aux grands hommes d’État de conduire une politique aussi dure. À dire le vrai, s’il fallait relever une contradiction chez Balzac, elle serait plutôt dans ce soupir de Charles IX : « On tue les hommes, on ne tue pas des mots ! » S’il est vain de lutter contre des idées, à quoi bon toutes les ruses de Catherine ?… L’histoire d’ailleurs parle d’elle-même : contre Balzac, on s’interrogera sur le bilan de la reine de France. Ses temporisations excessives, ses finasseries d’Italienne, non seulement n’ont pu éviter ni les guerres de religion ni la Saint-Barthélémy, mais encore n’ont pas freiné la montée du protestantisme. Il est permis de douter du fait que la Saint-Barthélémy fut un mal nécessaire : n’était-elle pas plutôt le mal que l’on eût évité, avec une autre paire de gants pour tenir le sceptre de France ?…

Mais non ! Balzac n’en démord pas : Catherine de Médicis, prise entre la dynastie (les Guise) et le système (Calvin), luttant tout à la fois contre les Lorraine et les Balafrés, Jeanne d’Albret et les princes de Condé, Coligny et le connétable de Montmorency, « a sauvé la couronne de France ». Sauvé de quoi ? du protestantisme, auquel Balzac reproche l’individualisme, l’esprit d’égalité et la prétention à la liberté politique. Pour le royaliste, c’est une faute impardonnable, — un péché mortel —, que d’avoir discuté les principes de la monarchie et de la religion, et d’en avoir sapé les bases. C’est en effet l’esprit protestant défendu par les branches cadettes, les Bourbon puis les Orléans, qui a porté en germe l’esprit des Encyclopédistes, malgré Médicis, malgré Richelieu, malgré Louis XIV ; et c’est l’esprit protestant qui a conduit la France à la Révolution, et pire, à la République : « Des hommes éminents, des esprits pénétrants, comme il s’en rencontre toujours au sein des masses, devinaient la République dans la Réformation ».

Le produit du libre arbitre, de la liberté religieuse et de la liberté politique (ne confondons pas avec la liberté civile), est la France d’aujourd’hui. Qu’est-ce que la France de 1840 ? un pays exclusivement occupé d’intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où le pouvoir est sans force, où l’Élection, fruit du libre arbitre et de la liberté politique, n’élève que les médiocrités, où la force brutale est devenue nécessaire contre les violences populaires, et où la discussion, étendue aux moindres choses, étouffe toute action du corps politique ; où l’argent domine toutes les questions, et où l’individualisme, produit horrible de la division à l’infini des héritages qui supprime la famille, dévorera tout, même la nation, que l’égoïsme livrera quelque jour à l’invasion.
(H. de Balzac, Sur Catherine de Médicis)

Madame ! dit le protestant Chaudieu à Médicis, nous revenons à Jésus, nous réclamons l’égalité ! La réponse de la reine est aussi celle de Balzac : « Vous croyez-vous l’égal de Calvin ? […] Vous n’êtes pas seulement des hérétiques, vous vous révoltez contre l’obéissance au roi, en vous soustrayant à celle du pape ! » On reprochera peut-être à Balzac des pensées autoritaires ; l’auteur des Illusions perdues, heureusement plus fin que ses détracteurs, prend soin de préciser qu’il n’est pas contre la liberté civile, mais contre la liberté politique. Conservateur, il croit en effet à la nécessité d’un État fort ; un État fort est un État qui agit ; un État qui discute est un État qui n’agit pas : d’où la débilité du système républicain, et le danger du protestantisme qui le charrie. « Il s’agissait bien moins d’une réforme dans l’Église, dit encore Balzac à propos du protestantisme par la voix de Médicis, que de la liberté indéfinie de l’homme qui est la mort de tout pouvoir. »

Donc, pour Balzac le monarchiste, Catherine de Médicis fut une grande reine, parce qu’en luttant pour garder le trône catholique, en jouant des uns contre les autres, en massacrant les protestants, elle a retardé d’une dynastie la conséquence fâcheuse de la Réforme : la République. Son ouvrage est une véritable réhabilitation de la Veuve noire. Au fait, étrange réhabilitation : défense à double tranchant ! On cherchera, en vain, les sept différences entre cette Médicis et la Médicis de La Reine Margot ; ainsi, la Catherine de Balzac, pour ôter la régence au duc de Guise, empêche Ambroise Paré de sauver son enfant ; elle préfère laisser son allié le fils du pelletier se faire torturer, plutôt que de s’exposer au scandale ; enfin, elle ne gouverne que par intrigues et machinations !

Admiratrice de la maxime : Diviser pour régner, elle venait d’apprendre, depuis douze ans, à opposer constamment une force à une autre. Aussitôt qu’elle prit en main la bride des affaires, elle fut obligée d’y entretenir la discorde pour neutraliser les forces de deux maisons rivales et sauver la couronne. Ce système nécessaire a justifié la prédiction de Henri II. Catherine inventa ce jeu de bascule politique imité depuis par tous les princes qui se trouvèrent dans une situation analogue, en opposant tour à tour les Calvinistes aux Guise, et les Guise aux Calvinistes. Après avoir opposé ces deux religions l’une à l’autre, au cœur de la nation, Catherine opposa le duc d’Anjou à Charles IX. Après avoir opposé les choses, elle opposa les hommes en conservant les nœuds de tous leurs intérêts entre ses mains. Mais à ce jeu terrible, qui veut la tête d’un Louis XI ou d’un Louis XVIII, on recueille inévitablement la haine de tous les partis, et l’on se condamne à toujours vaincre, car une seule bataille perdue vous donne tous les intérêts pour ennemis ; si toutefois, à force de triompher, vous ne finissez pas par ne plus trouver de joueurs.
(H. de Balzac, Sur Catherine de Médicis)

Le tableau ne serait pas encore complet sans les poisons et l’astrologie. Allons donc ! — ceci n’est pas pour arrêter Balzac, lecteur de Swedenborg, dont chacun connaît les prédilections pour le mysticisme. Il a beau critiquer la « pompeuse loquacité de charlatan » des Ruggieri : toutes leurs prédictions se réalisent ! Et l’on sent bien que pour l’auteur de La Peau de chagrin, de  La Recherche de l’absolu, de L’Élixir de longue vie, l’intérêt  de la Florentine à l’égard des sciences occultes est une autre vertu à ajouter à ses qualités…

Alors, Catherine de Médicis fut-elle d’une tolérance coupable à l’égard des Protestants ? Ou bien, cette reine qui « n’eut d’autre passion que celle du pouvoir », « superstitieuse et fataliste comme le furent tant d’hommes supérieurs », préserva-t-elle heureusement la France des « plaies […] dont le germe était dans les questions de liberté de conscience » agitées par les Huguenots ?
Je n’insiste pas ; on sera sensible ou non aux arguments de Balzac.

 

Lecture conseillée :

  • Balzac, Honoré (de), Sur Catherine de Médicis

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