Chacun connaît la phrase de François Mitterrand : « Il y a deux sortes de lecteurs : ceux qui ont lu Les Deux étendards, et les autres. » Mitterrand avait un goût certain pour la littérature et une impressionnante culture classique ; aussi son jugement n’est-il pas sans attirer la curiosité. Et en effet, il faut avoir pris connaissance de ce pavé littéraire de plus de mille pages pour voir se confirmer la formule mitterrandienne : car Les Deux étendards, en dépit du passé trouble de son auteur, est un véritable chef-d’œuvre de la littérature.
Roman autobiographique d’un misanthrope et anarchiste de droite, ce roman-fleuve qui ressemble à une version noire de La Recherche traite aussi bien du conflit entre l’amour, le désir et la religion que de la lecture et de l’écriture – le tout avec la hauteur et le recul d’un cerveau brillant à la culture solide. L’histoire est banale : un triangle amoureux. Mais comme dans toutes les plus grandes œuvres de la littérature, on peut voir dans l’ouvrage de Rebatet de multiples analyses selon l’angle par lequel on l’aborde : une analyse girardienne qui permet de comprendre les rapports de ce triangle amoureux et le brusque désir de Michel. Une analyse kierkegaardienne qui ferait de Michel le chantre du stade esthétique (l’étendard de Lucifer) et de Régis le héraut du stade religieux (l’étendard du Christ), et qui ferait de l’ouvrage entier le magnifique récit d’une « suspension téléologique de l’éthique », « l’amour découvrant dans le renoncement le secret du toujours ». Ce n’est pas tout : autour de ces mécanismes des rapports humains mille fois décrits, avec plus ou moins de finesse, par toute la représentation artistique depuis Homère jusqu’à nos jours s’agrègent des réflexions profondes sur la foi, l’institution catholique et l’agnosticisme. Le livre de Rebatet, enfin, est une véritable histoire de l’art : il fourmille de références musicales, picturales et bien sûr littéraires – Wagner traverse la narration et Proust, Baudelaire et Stendhal semblent faire l’unanimité.
Rebatet, au fond, est un peu le François Villon du vingtième siècle. Comme le poète du moyen âge, il a eu l’audace d’écrire en prison en attendant une condamnation à mort. Et comme le protégé de Charles d’Orléans, il a toujours eu ce faible pour les vilains, pour les rebuts, pour les exclus. Lui-même est le pire des parias ; il a soutenu le fascisme et dès lors sa parole est inaudible. Ses adversaires pensent contre lui par totalité : mais le lire, justement, c’est se contraindre à la nuance et ne pas mêler dans un ensemble informe et brouillon toute la droite de Barrès à Pétain. Car il ne faut pas confondre l’anarchisme de droite dont Rebatet est la figure avec la droite nationaliste de Maurras et Barrès ; Rebatet – Michel dans Les Deux étendards – voue une haine implacable au fondateur de l’Action française et à l’auteur des Déracinés. Il admire au contraire à la fois Nietzsche et Gide, l’un pour son culte de la race et de la légitimité militaire – que l’on relise, comme suggéré par Michel, les pages du Gai savoir sur l’absence des formes nobles –, l’autre pour son indépendance totale vis-à-vis d’une société formant un système dont il se méfie comme de la peste. Les deux étendards, au fond, ne symbolisent pas que la lutte du désir contre la morale ; ils figurent aussi la lutte, plus politique, de la bourgeoisie conservatrice contre l’anarchie de droite. Et dès lors on ne peut plus s’étonner de la fracture irréconciliable qui sépare aussi bien Michel de Régis, que Rebatet de Maurras.
Le roman de Rebatet est un grand livre, car il parvient à faire comme une synthèse de presque toute la littérature sans tomber dans le pastiche ni dans la caricature : il contient à la fois les Illusions perdues et L’Éducation sentimentale, La Recherche et Le Rouge et le Noir. Il est et restera assurément une œuvre incontournable de la littérature française.
1. La découverte de la littérature
Il serait beaucoup trop long de faire une analyse complète et détaillée des Deux étendards. Prenons-le à travers l’angle le plus évident : celui d’un écrivain qui parle de littérature, c’est-à-dire de lecture et d’écriture. Car n’oublions pas qu’il s’agit d’un roman autobiographique ; aussi, derrière l’histoire de Michel se cache la propre histoire de Rebatet, qui est d’abord celle d’une entreprise littéraire. Comme Gracq (En lisant en écrivant), comme Sartre (Les Mots)– Rebatet verrait d’un bien mauvais œil cette comparaison – le romancier distingue nettement la lecture de l’écriture, la première étant une étape préliminaire indispensable avant de passer à la seconde.
La lecture, chez Michel, est précoce. Dès l’internat catholique, il découvre André Gide. Tout de suite, fidèle à lui-même, il admire sa totale liberté d’esprit et affirme lui aussi, déjà avec violence, sa conscience de ne pas appartenir à l’espèce sociale qui l’entoure.
– […] En passant à Lyon, pour les vacances de Pâques, chez Flammarion, j’ai vu un article d’un zèbre qu’on ne connaît pas, un nommé André Gide. Je ne sais pas pourquoi j’ai lu ça. J’avais aperçu le nom de Baudelaire dedans. Le type dit : « Quand j’étais encore enfant, et que j’ai compris que je ne ressemblais pas aux autres, j’ai pleuré désespérément. » Eh bien, ce type est une couille molle. Moi aussi, j’ai compris la même chose que lui. Mais je te garantis que je ne pleure pas. Ah ! non de foutre, non ! Je ne ressemble pas aux autres, et toi non plus, parce que nous ne sommes pas de la même espèce. Et la grande espèce, c’est la nôtre. Seulement nous sommes peut-être cent pour un million de culs.
Toute l’enfance de Michel Croz peut se résumer ainsi : découverte passionnée de la littérature française, désir de s’éloigner des normes sociales. Il est romantique quand il étudie le classicisme, et baudelairien quand on lui fait lire le romantisme :
Quand ils étaient encore en troisième, les deux garçons éprouvaient, chacun de son côté, un invincible besoin de relire et de se réciter les chansons de Ronsard, de Bellay et de Belleau dans l’austère anthologie verte – cours élémentaire – de M. Charles-Marie Desgranges. Ils s’en étonnaient eux-mêmes et tiraient moins de vanité que d’inquiétude de cette impulsion qui leur apparaissait, et pour cause, rigoureusement personnelle. Ces Infantilia faisaient partie des naïves monstruosités d’un âge très lointain dont on réveillait aujourd’hui, avec une indulgence humoristique, le souvenir. Ils avaient pris peu à peu une conscience plus hardie de leurs inclinations, qui étaient allées s’élargissant, mais toujours en curieuse discordance avec le programme officiel. Ils avaient découvert d’enthousiasme, durant leur seconde, le flamboyant arsenal et les blanches héroïnes du romantisme, tandis qu’ils dépêchaient, pour le compte du Père Le Loch, de fastidieuses analyses de Cinna et d’Athalie. En première, maintenant que les ténors romantiques étaient l’objet d’un cours en règle, ils baignaient en plein baudelairisme et en plein symbolisme. Ils vivaient ainsi une histoire complète de la littérature, avec ses révolutions, ses querelles d’écoles, mais où un semestre remplaçait un demi-siècle.
Et tandis qu’au même moment il s’éloigne de l’institution religieuse en ce qu’elle représente, elle aussi, une norme sociale dont il ne peut s’empêcher de se méfier, Michel prend conscience, comme Marcel Proust dans Le Temps retrouvé, que « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c’est la littérature. »
Ils avaient acquis la certitude que la littérature, à laquelle ils allaient décidément vouer leur vie, est l’activité capitale de l’homme : « Il n’y a que ce qui est exprimé qui existe vraiment », proclamait Guillaume, assez fier de cette formule, et qui avait en effet le mérite de l’avoir redécouverte tout seul.
Rebatet, un peu anarchiste mais surtout fin connaisseur de la littérature française, construit paradoxalement son roman selon les règles les plus rigides de l’esprit réaliste. À l’image des Illusions perdues, de L’Éducation sentimentale, des Déracinés, où les personnages gravitent autour d’un Paris qui finit par les broyer, les héros des Deux étendards, provinciaux stéréotypés, sont bien malgré eux attirés par la Ville Lumière qui brille au loin.
2. Les premières désillusions littéraires
Rebatet connaît par cœur son Balzac ; il sait qu’en France la gloire littéraire passe nécessairement par Paris. C’est pourquoi Michel et son ami Guillaume fuient dès qu’ils le peuvent la province lyonnaise, et se rendent à la capitale. Leur projet est toujours celui de devenir écrivain ; déjà, ils se comparent. Ils notent sans pitié les figures de leur temps ; Rebatet s’y donne à cœur joie : à travers le dur jugement de Michel transparaissent les goûts de l’auteur qui, comme Maurras, critique par l’idéologie. Ses choix ne sont guère surprenants : il vilipende Barrès et Péguy pour leur attachement aux normes sociales les plus contraignantes – l’Église, la Nation, « la terre et les morts » –, et glorifie Proust et Gide pour leur façon de jeter bas la société au profit d’idéaux qui la dépassent.
Barrès, Péguy : zéro (pas mécontents de moucher encore à cette occasion, ces deux cléricaux, ces faux mages qui n’ont enseigné que des foutaises de politique bourgeoise). Deux individus qui ne se sont sentis à l’aise qu’après s’être figés dans l’attitude la plus artificielle, nationalisme en bois, catholicisme sans foi, catholicisme socialiste. Des kilomètres de mots pour habiller ces idoles rigides. Pas étonnant que ça soit si creux et vague. Mais ce vague est à l’opposé du mouvant qui est notre domaine et notre chère étude.
[…]
Proust. Parbleu ! Dix, le maximum. Est-il besoin de développer le pourquoi ? Ce matin d’avril – il était mort depuis cinq mois – sous les galeries de l’Odéon, où nous avons ouvert Swann pour la première fois : « Longtemps je me suis couché de bonne heure… » L’homme qui a eu la tranquille audace de commencer ainsi l’œuvre de toute sa vie. Notre rigolade, mais aussi notre bonheur dans ce rire : une telle découverte ! Nous avons découpé les deux bouquins blancs tout de suite, sur le premier banc du Luxembourg. Nous les avons dévorés, ainsi que tous les autres, absolument comme les gosses dévorent les Trois Mousquetaires et Vingt Ans après. Et nous attendons encore la suite, avec la même impatience. Notre joie d’être du même temps qu’un des plus grands hommes de toute la littérature française. À lui seul, il nous prodigue toutes les voluptés de la peinture, de la musique, de la poésie, et de la plus profonde connaissance du cœur. Tout ce qu’il nous aura appris, tout ce qu’il nous aura permis, à nous et à tant d’autres. L’inépuisable peuple proustien ; l’immense, le resplendissant jardin qui nous attendait à l’entrée de notre jeunesse.
Gide : dix aussi. Parce qu’il est, quant à la morale, le grand libérateur. Parce qu’il a pu tout révolutionner sans cesser d’être un artiste du plus pur classicisme. Il nous a enseigné à ne pas nous mentir, nous qui en avions tant besoin, puisque nous avons subi l’éducation cléricale. Il nous a rappris le français, qui n’était plus avant lui que le mâchefer des Bourget, les amabilités trop souvent livresques d’Anatole France, les adjectifs hydrophiles et les bêlements du symbolisme. Notre maître. Puissions-nous un jour être dignes de le lui faire savoir.
Nous savons que le propre de l’anarchisme est de rejeter la norme sociale. Aussi n’est-il pas surprenant que Michel et son ami Guillaume rejoignent, presque par réflexe, le club des surréalistes. Mais c’est encore sous-estimer leur rejet de toute ritualisation humaine : très vite, ils se séparent de Breton à qui ils reprochent son autoritarisme.
– […] Bah ! nous ne serons jamais de ceux qui tolèrent l’enrégimentement, même sous le drapeau des plus parfaits nihilistes. Et puis, vois-tu, l’homme est si limité, si débile, que devant son univers intérieur, comme devant l’univers avec majuscule, il n’arrivera jamais à se passer de conventions. C’est ce que Breton et les autres prétendent corriger, et ils y mettent vraiment trop de hauteur et de mensonges volontaires. Cette nouvelle utopie commençait à me donner sur les nerfs. Après tout, leurs trouvailles valables, nous saurons bien les faire sans eux.
– Et nous aurons été les premiers dissidents du mouvement le plus révolutionnaire du XXè siècle. Pour cause de rébellion à l’autorité ! C’est aussi un petit titre de gloire.
Tout le paradoxe du fascisme de Rebatet éclate dans cet extrait : alors même qu’il a choisi de militer en faveur d’une idéologie fondée sur la légitimité du guerrier plutôt que du patron, faisant bruyamment résonner en lui et hors de lui son désir d’autorité, il ne cesse de se proclamer rebelle et de chercher à détruire de l’intérieur toutes les marques de la force sociale. La doctrine de Rebatet ne serait-elle pas uniquement celle d’un contestataire par principe ? C’est en tout cas l’impression que donne Michel dans Les Deux étendards, et cela souligne encore la différence qu’il convient d’observer entre la doctrine nationaliste et la doctrine fasciste : là où les premiers s’attachent d’abord à la patrie – à sa souveraineté et à la préservation de sa culture et de son intégrité –, les seconds, en recherche de vassalité, font de la force pure la condition de toute légitimité – quitte à soutenir des régimes ennemis, au mépris des intérêts nationaux.
Mais revenons aux Deux étendards : les deux amis, qui passent leur temps à critiquer la société, désespèrent de trouver un jour la gloire littéraire, ce sésame de la jeunesse française, ce Graal des provinciaux de Paris en quête d’un nom. Michel et Guillaume, pour se rassurer quant à leur avenir, se comparent aux écrivains qu’ils admirent.
On commençait cependant à consulter les dictionnaires avec des inquiétudes inédites. À notre âge Shelley, Byron, Chateaubriand, Poe, Nerval s’étaient déjà donné des preuves de leur génie. Baudelaire, Balzac, Flaubert, Dostoïevski, étaient déjà la proie de leurs ferments. Mais les exemples de Rousseau, de Stendhal, de tant d’autres sont des plus rassurants. C’est égal, si l’on doit être comme eux des débutants de la quarantaine, quel difficile destin !
Les deux héros en sont à ce stade de leurs réflexions, quand arrive un événement nouveau qui va éjecter Guillaume de la scène, et placer une autre passion, cette fois-ci amoureuse, au cœur du roman.
3. La passion dans l’écriture
Régis, un ami de Michel qui vit encore à Lyon et se prépare à entrer chez les Jésuites, annonce une nouvelle surprenante à son camarade : il vit un amour passionnel avec une jeune fille nommée Anne-Marie, qui s’apprête elle aussi à entrer chez les nonnes. Les deux amants ont décidé de vivre leur amour par procuration divine, sans lien charnel, en une pure et mystique communauté de pensée. Michel, peut-être victime à son insu d’une forme de désir mimétique, impressionné par la révélation de son ami, rencontre Anne-Marie et en tombe aussitôt amoureux ; son amour est d’autant plus difficile à combattre qu’il partage avec la jeune fille les mêmes goûts littéraires, c’est-à-dire les mêmes appétences pour tout ce qui sort des sentiers battus de la norme sociale :
Ils reprenaient les rues ténébreuses et mornes du faubourg. La fièvre de Michel l’avait emporté maintenant sur sa lassitude. On venait de parler poètes. Anne-Marie voulait dire A une Madone, l’Ex-voto dans le Goût Espagnol. Michel était charmé qu’elle fît le choix, au lieu des morceaux consacrés des Fleurs du Mal, de ce petit chef-d’œuvre où les symboles galants et mystiques s’entrelaçaient, la plus ravissante image baroque que l’on pût dessiner avec les mots de la langue française, mais faite pour les vrais dilettantes, et que les autres croyaient bon de ranger parmi les bizarreries baudelairiennes.
L’apparition d’Anne-Marie fait entrer la structure narrative du roman dans une nouvelle étape ; alors qu’auparavant la narration traînait, semblait errer sans but particulier, elle se focalise soudain – et pour toute la suite de l’œuvre – sur les rapports interpersonnels qui lient de façon inextricable les trois personnages. Or, ce passage d’un stade à l’autre est aussi corrélé pour Michel à celui du passage de l’étape de la lecture à celle de l’écriture. Michel, en effet, qui désespère de posséder un jour Anne-Marie –
Il était bien d’une autre race : plus encore, d’un autre monde. On ne pouvait mieux se le prouver à soi-même que dans un horrible pas. Pour soi seul. Aucun des animaux enfouis dans leur mangeoire ne pouvait soupçonner la beauté et la violence de la lutte que Michel Croz livrait pour dominer la douleur.
– décide pour se calmer de se lancer pleinement dans l’écriture :
Voluptés du labeur ! La journée avec le troupeau est finie. Le pain a été gagné. Le bon ouvrier des mots a endossé les vieux habits du vrai travail, il ouvre son col, il retrousse ses manches. Sous la lampe sage et fidèle, seul surgit des ombres l’établi : les livres en piles bousculées, le papier vierge et net, la théière, la miche de seigle, les pipes, les cigarettes étalées, vingt petites cartouches blanches pour le plus fort du combat. Huit heures devant soi jusqu’au terme de la nuit, vaste et appétissante tranche de temps, huit heures où l’on ajoutera peut-être une phrase, une page même à la littérature française. La mansarde est chaude. Les autres sont à leurs femmes, à la musique, aux spectacles. Mais l’écrivain à sa tâche peut mépriser les plus nobles plaisirs. Savoureuse solitude, apprêts délectables.
L’entrée dans l’écriture ne signifie pas pour autant la sortie de la lecture. Seulement, la lecture n’est plus seulement perçue comme un puits dans lequel il faut s’abreuver pour marquer sa continuité ou sa rupture ; elle est désormais pleinement assumée en tant que modèle et fait office d’excitant, de coup de fouet, d’entraînement plus que d’objet d’admiration.
Auparavant, on n’oublierait point les excitants littéraires, savamment dosés, qui sont indispensables, et chaque jour quelque forte lampée de prose classique, Rabelais, Retz, Saint-Simon, Voltaire, Diderot, pour faire des muscles à sa phrase, la purger de tous les excréments du journalisme, des patois d’Université et de philosophie, des vieilles lectures – ce caramel poisseux laissé par les Barrès, les Loti et les Lemaître, ces morceaux de mâchefer qui sont le legs de quelque Bourget.
Michel avait vu son livre. Il serait sa vie vraie et beaucoup plus que sa vie, la confession la plus nue, le souterrain le plus hardi, en même temps que l’histoire de toute la vie possible, le drame imaginaire plus révélateur que n’importe quelle vérité.
Barrès et Bourget en prennent encore pour leur grade. Michel, comme Rebatet, sait qu’on n’écrit jamais mieux que quand on sait de quoi l’on parle, et que l’on ne connaît rien aussi bien que soi-même. Aussi décide-t-il, comme saint Augustin, comme Michel de Montaigne, comme Jean-Jacques Rousseau et bien d’autres avant lui, de coucher sa vie dans son œuvre. Commence alors pour lui le pire des maux des écrivains, le syndrome de la page blanche, qui n’est rien d’autre, au fond, qu’une soudaine prise de conscience des limites du langage :
Il se laissait glisser vers de troublantes généralités. La littérature était peut-être bien, comme il l’avait souvent proféré, le plus imparfait et le moins viable des langages de l’homme.
Michel doute… Il a besoin d’un renfort ; ce renfort, il va dans un premier temps le trouver chez Régis, qui est à la fois son ami et son rival.
4. Les lectures religieuses et les lectures profanes
Régis, le Jésuite, le croyant de cœur mais aussi d’institution, est l’exact opposé de Michel : il est le représentant de la norme sociale dans tout ce qu’elle a de plus contraignant et de plus rigide – que l’on relise le chapitre édifiant sur les chaises de bois. Là où Régis applique à la lettre les préceptes maurrassiens hérités de Comte – à qui le fondateur de l’Action française a consacré de nombreuses pages –, c’est-à-dire le « Progrès » dans « l’Ordre », Michel rejette avec violence, par défiance de principe, toute hiérarchie issue du système social qui l’entoure.
Pour le moment, Michel – qui est alors peut-être un double du Rebatet collaborant pour l’Action française –, subit en partie l’influence de Régis. Il se laisse presque convertir aux Pensées de Pascal :
– Pascal n’est guère mon homme, ou en tout cas, pas encore. N’oublie pas que je le tenais jusqu’à cette année pour le plus sinistre ennemi du genre humain, ayant gâché un talent superbe à composer une apologétique d’ignorantins.
Son ami Guillaume – le double refoulé de Rebatet – met en garde son ami contre l’influence néfaste du Jésuite :
– […] Vois-tu, à sa manière, ce Lyonnais badine avec l’amour. On n’a pas besoin de Musset pour savoir que c’est un jeu qui finit toujours mal. Nous devrions nous évertuer patiemment à remettre ce bon Régis sur pied.
[…]
– Vois donc La Porte étroite. Alissa meurt desséchée, défigurée et désespérée. Voilà l’humaine conclusion.
– Basta ! Je viens justement de relire La Porte étroite parce que nous l’avons portée à Anne-Marie. C’est le bouquin d’un grand artiste. Avec ce style qui a l’air d’un trait de mine de plomb, Gide arrive à suggérer tous les volumes, tous les éclairages de ces deux âmes.
L’écrivain a souvent besoin de créer parmi les personnages de son œuvre un ou plusieurs doubles de sa bonne conscience qui vont essayer, tant bien que mal, de détourner le héros de ses errements – c’est ce que fait Balzac avec le vieux père, la comtesse de Listomère et le prêtre dans La Femme de trente ans, c’est encore ce que fait Anatole France, dans Les Dieux ont soif, avec le personnage de Brotteaux. Guillaume, dans Les Deux étendards, tient ce rôle de « la conscience de l’auteur ». Aussi est-il un personnage plus important qu’on ne pourrait le croire de prime abord, et que l’auteur lui-même l’a peut-être cru. S’il n’est pas principal à la narration, il est en revanche omniprésent, et intervient toujours aux moments critiques…
Pour le moment, le conseil de Guillaume s’avère efficace. Car Gide, comme Stendhal et Baudelaire, fait partie des écrivains qui parviennent – et c’est un miracle – à mettre d’accord Régis et Michel.
Régis venait de s’offrir huit jours de lectures profanes, encore un peu de Barrès (tant pis), du Claudel (Michel saluait courtoisement, d’assez loin, sans éprouver un bien vif désir de s’approcher), mais aussi L’Idiot, les lettres de Stendhal, du Gide. À propos de la préface de Gide aux Fleurs du Mal, Régis déclamait Recueillement.
Mais la situation s’enlise : Michel est toujours amoureux fou d’Anne-Marie et a encore du mal à se jeter pleinement dans l’écriture. Au cours d’une discussion avec Régis, Michel, en proie au doute permanent, réaffirme sa volonté d’écrire pour exister. Cela explique aussi pourquoi la théorie de l’Art pour l’art ne peut le satisfaire pleinement ; priver la littérature de son utilité, n’en faire qu’un objet du beau, c’est à la fois enrayer l’une des possibilités du langage, et surestimer la capacité humaine.
On retrouve bien là le côté baudelairien de Rebatet : il ne fait pas rimer le beau, le vrai et le juste. Comme Balzac dans La Femme de trente ans, il voit au contraire dans la médiocrité humaine du quotidien le limon le plus fertile à l’expression artistique.
– Alors, quoi ? L’art pour l’art ?
– Qu’est-ce que c’est que cette bête-là ? Arrêtons-nous. Sinon, nous allons nous flanquer sur les pieds des formules et des concepts pesant cinq cents livres la pièce. Vois-tu, toute idée, toute sensation non exprimées demeurent pour moi dans les limbes. J’écris pour exister davantage, je pourrais même dire : pour exister, tout court. Le besoin de communiquer avec autrui est infiniment moins pressant, et à mes yeux d’un ordre assez vulgaire.
Si l’écriture est essentielle à l’existence de Michel, ses lectures ne le sont pas moins ; et même Anne-Marie ne peut pas le convaincre du contraire. Quand elle lui reproche de s’intoxiquer de littérature, elle ne comprend pas que l’art est pour Michel – pour Rebatet – un moyen de s’extraire de cette norme sociale permanente qu’il honnit et qui le dégoûte – et de fait la musique, la peinture et la poésie l’empêchent quotidiennement d’éclater sur place. Michel est un pur, un authentique asocial : il est terriblement malheureux, car il évolue journellement dans un monde qui ne lui plaît pas. Céline disait : « on était faits, comme des rats. » Rebatet aussi a le sentiment permanent d’être fait, comme un rat. L’art est sa seule échappatoire : l’en priver, c’est le condamner à mort.
Anne-Marie a raison, pensait Michel. Elle a raison dans le principe, avec son magnifique instinct de femme. Je suis livresque, mais elle ne comprend pas que les livres sont aussi la vie pour moi. L’important, c’est de ne pas être dévoré par eux, mais de s’en nourrir. Je m’en expliquerai avec elle un de ces jours.
5. La religion de l’art
L’un des traits caractéristiques de la progression des Deux étendards est que Michel s’affirme en tant qu’artiste à mesure que progresse la narration. Rebatet, comme Michel, n’est pas un écrivain-né ; il n’a pas comme Hugo, Rimbaud ou Verlaine composé des œuvres maîtresses à seulement quinze ans. Comme Flaubert, il compose peu et prend son temps ; mais ses résultats sont presque toujours à la hauteur de son travail et marquent, pour le meilleur comme pour le pire, la société de son temps avant de s’inscrire dans l’histoire littéraire.
Michel, en tous cas, n’hésite pas à s’autoproclamer :
– Puis-je me dire un artiste ? Permets-le-moi, malgré la présomption. En tout cas, toutes les lumières me sont venues jusqu’ici par les artistes que j’aime, il n’y avait pas pour moi de monde plus vaste et plus beau que le leur. Je le redisais ce soir encore avec Anne-Marie : leur exemple a été mon idéal. Pour y prétendre, ai-je quelques dons ? Je le crois, malgré les doutes et les échecs. L’opiniâtreté du désir est au moins un commencement de preuve. Voilà ma physionomie exacte devant les hommes : un apprenti-écrivain, passablement fanatique, et qui a déjà beaucoup sacrifié à un instinct que je m’autorise à croire profond.
Michel ressent cet instinct de l’art ; mais il est décidément un incorrigible misanthrope ; alors pourtant que l’art, nous l’avons vu, est sa seule porte de sortie, sa meilleure chance de salut, il ne peut s’empêcher d’y voir d’abord et avant tout l’œuvre des hommes, et, par conséquent, une nécessaire imperfection qui empêche de facto la pleine et entière transcendance. En d’autres termes, l’art ne peut pas être une religion car il est humain, donc opposé au divin.
Il songeait aux binettes qui tournent autour de la « Religion de l’Art » cet ersatz de la foi perdue ou inconnue, tout au plus bon au réconfort des potaches et des vieux birbes flatulents ; un mot que l’on glisse à la place d’un autre, pour boucher une fissure sentimentale ; un vocable aussi démocratiquement creux que la Fraternité, la Justice et le droit des Peuples. Si l’art est bien le meilleur témoignage de l’homme, son suprême effort pour dégager de sa boue sa substance divine, alors ! quelle misère ! Pour une paillette d’or, que de limon remué, que de vase étalée ! Humain, toujours humain. Les plus grands n’y échappent pas. À chaque pas dans leur œuvre, on surprend la trace de la main périssable, qui besogne à tâtons pendant que le génie est absent. Souvent, Mozart, Vivaldi, Haendel et Bach ronronnent.
Pendant que Michel songe à l’art, la narration progresse ; décidément passionné par Anne-Marie, le double littéraire de Rebatet prend enfin la décision de quitter sa chambre parisienne pour aller vivre à Lyon, près du couple mystique :
Debout près de la porte, Michel remplissait ses regards de ces lieux qu’il ne verrait plus jamais. Le capharnaüm eût mérité une copieuse description. La bibliothèque des deux amis, commençant sur deux planchettes dérisoires, avait débordé partout, distribuée entre la table-pupitre, le bas des murs, le rebord de la fenêtre, le dessous du lit, les alentours du sceau à toilette, selon une subtile gradation des valeurs littéraires.
6. Quelques discussions littéraires
La venue de Michel à Lyon est l’occasion, pour le trio, de discussions littéraires passionnantes ; les trois amants sont tous des connaisseurs ; Anne-Marie n’hésite d’ailleurs pas à répondre de manière virulente à l’examinateur du bachot qui l’interroge sur le critique et romancier Sainte-Beuve. Le personnage d’Anne-Marie, après Michel, est celui qui se rapproche le plus de l’auteur des Deux étendards. Comme Rebatet, comme Michel, elle éprouve vis-à-vis de l’humanité occidentale constituée en tant que forme sociale moderne une répugnance presque maladive – en témoignent ses réflexions vulgaires systématiques au sujet des foules, les apostrophes violentes qu’elle adresse aux inconnus qui se trouvent dans son entourage, elle qui est pourtant issue du milieu de la bourgeoisie conservatrice. Ce n’est pas pour rien qu’elle finit par s’enticher de Michel : elle aussi éprouve une gêne à marquer sa foi de rituels qui lui paraissent trop figés. Toujours est-il que sa réponse à l’examinateur est étonnamment violente :
« […] Mais quand on n’est pas tout à fait une petite oie, on lit les poètes, on lit Balzac, on lit Le Rouge et le Noir. Et Sainte-Beuve n’a rien compris aux poètes, il a encensé Bérenger, expédié Baudelaire en quatre lignes mi-figue mi-raisin, vilipendé Balzac, quasiment ignoré Stendhal. Du reste, parmi les classiques, il mettait Mithridate fort au-dessus de Bérénice. Tout compte fait, cher monsieur, le plus illustre de ces ratés et de ces cuistres qui ont fait de l’amour des lettres un pensum. »
Anne-Marie, pourtant, est trop attachée aux formes sociales pour être pleinement anarchiste. Si Michel l’attire indubitablement, elle ne peut cependant totalement se résigner à plonger avec lui dans la remise en cause de tout ce dont elle croit, malgré tout. Aussi s’agace-t-elle que Michel mette autant de temps à se convertir. Elle cherche, bonne manipulatrice, à le blesser sur son point faible : la littérature.
– Seulement, mon bel ami, même en religion, deux et deux font quatre.
– Dans ce cas, ma toute belle, pourquoi Dieu a-t-il entouré de tels mystères cette évidence ?
– C’est vous qui vous refusez aux évidences parce qu’elles suppriment votre littérature.
Les trois amis, dans un bistrot lyonnais, parlent encore de littérature. Là encore, toute la conversation est irradiée d’idéologie. La séparation nette entre deux droites, celle anarchiste de Michel et celle conservatrice de Régis, est particulièrement visible dans les choix des différentes lectures des personnages. Régis admire Barrès, le théoricien de « la terre et des morts » qui croit à la légitimité des institutions séculaires et à l’emprise déterminante du milieu, de l’histoire et de la race. Péguy, Maurras, comme Barrès, trouvent grâce aux yeux du Jésuite. Michel, de son côté, est atterré : c’est qu’il est plus volontiers disruptif que conservateur.
Des gémissements d’accordéon et quelques bruits de pétards forains entraient dans le bistrot avec une nappe de soleil. Michel était sur la sellette. Régis avait apporté à son amie le Greco de Barrès. Michel s’était récrié violemment :
– Pouah ! en voilà, une lecture ! Anne-Marie, je déconseille avec force ! Cachez ça de ma vue.
– Je tiens absolument à ce qu’Anne-Marie connaisse ce livre, coupa Régis.
Il avait un ton beaucoup plus catégorique qu’à l’ordinaire pour de pareils sujets. Il semblait ajouter : « Anne-Marie n’est pas du tout obligée d’épouser tes goûts. »
D’autres noms, d’autres titres passaient, Juliette au pays des hommes de Giraudoux, l’Eve de Péguy, La Musique intérieure de Charles Maurras, Thibaudet. Michel guillotinait, du revers de la main : « Illisible… Merdoyant. Pompier ! Fécal… de la podographie. »
Michel, sans surprise, n’est donc pas tendre avec les tenants de l’ordre social… La lecture de son journal intime est l’occasion d’en savoir un peu plus sur ses lectures personnelles. Sa misanthropie, qu’il appelle son « pessimisme », lui fait aimer des auteurs réputés pour leur cynisme hargneux et leur contestation de l’ordre social, tel que le terrible frondeur duc de La Rochefoucauld.
8 août. – Je resserre et ordonne mes notes sur le pessimisme.
« Le pessimisme est le vrai fond de ma nature, et qui a été révélé, comme un colorant révèle un corps chimique, par mes premières réflexions d’adolescent. La première notion philosophique que j’ai faite mienne fut le doute sur le mérite. J’ai lu La Rochefoucauld à quatorze ans et demi. »
Régis, de son côté, lit et relit le livre de chevet des Jésuites : les fameux Exercices spirituels de saint Ignace – à qui l’Académicien François Sureau a consacré une belle et vibrante biographie, que nous recommandons à la curiosité du lecteur (Sureau, François, Inigo, Paris, éd. Gallimard, coll. « Blanche », 2010) – où se trouve exposé le principe des deux étendards, celui du Christ et celui du Diable.
– […] Moi, je ne peux plus m’en passer. En dehors de toute autre considération, je trouve ce livre magnifique, dans son dépouillement. Je comprends pourtant qu’il puisse apparaître sec. Il n’y a pas là-dedans une once de littérature. Et c’est, après l’Évangile, le plus grand livre de la chrétienté. Il n’y a pas de vie spirituelle sans lui.
Michel, évidemment, est affligé par les lectures religieuses de son ami ; c’est que l’emprise institutionnelle des Jésuites est très forte et condense à elle seule une grande part de ce que déteste l’ami de Régis : sous des apparences de liberté individuelle, une soumission permanente à un ordre établi.
Dans son nouvel ermitage, il avait pris avec saint Ignace un premier contact, cherchant tout de suite la méditation des Deux Étendards. Il connaissait la célébrité de ce fragment, dont le titre semblait promettre un vaste et imposant tableau : « De deux étendards, l’un de Jésus-Christ, notre Chef suprême et Seigneur, l’autre de Lucifer, mortel ennemi de notre nature humaine. » Jésus-Christ, le chef des bons, était dans une plaine du pays de Jérusalem, Lucifer, chef des ennemis, dans une plaine du pays de Babylone. Et puis ? C’était tout, ma foi : au lieu d’une fresque, une grossière image d’Épinal, avec le Diable « assis dans une grande chaire de feu et de fumée, ayant un visage affreux et terrible ». L’allégorie se décomposait en quatorze temps, comme un maniement d’armes. Michel avait repris le bouquin page par page, ne découvrant rien que l’on pût vraiment lire dans cette énumération de mouvements et de postures obligatoires, ce memento des lieux communs les plus secs et les plus incolores de la dévotion. Il distinguait mal le dessein qui avait commandé ce texte insipide, mais se sentait prémuni violemment contre lui.
Régis, pourtant, parvient finalement à rendre possible l’impossible : il convainc Michel d’aller voir un Jésuite. Double miracle, l’entrevue se déroule à merveille ; très vite le lecteur, comme Régis, comprend cependant que ce n’est pas en parlant de catholicisme mais de littérature que les deux hommes se sont si bien entendus. Encore une fois, c’est la littérature, le thème de fond du roman, qui permet de faire progresser la narration et d’amener les personnages à une nouvelle étape. Michel, au fond, n’est jamais et ne sera jamais intéressé par l’Église et la messe. S’il croit, c’est comme un panthéiste.
– Alors, ça s’est bien passé ?
– Le mieux du monde.
– J’ai supposé que ça collait. Tu es resté près d’une heure et demi avec lui. De quoi avez-vous parlé ?
– De littérature.
– Mais encore ?
– De littérature… Il est de mon bord, ce Reboul. Il l’est même plus que toi. Il pige bougrement bien ce que je veux dire par style démocratique : La Colline inspirée, les ritournelles de Péguy. Tu parles d’un type à la page ! Je lui dis deux mots de mes difficultés à saisir le vrai mouvement de la vie psychique : il me demande si j’ai lu Kafka, un Juif de Prague. À son avis, c’est peut-être l’écrivain le plus important de ces cinquante dernières années. Mais ça n’a pas encore été traduit, il faudrait lire l’allemand couramment… C’est marrant de parler avec un curé des Pas perdus de Breton et du Secret professionnel de Cocteau. Il m’a dit : « Vous employez le mot pompier à tout bout de champ. Vous êtes comme tous les jeunes gens, vous vous figurez que le monde est divisé une fois pour toutes en pompiers, et en novateurs qui ont ouvert des voies définitives. Rappelez-vous ce que dit Cocteau : « Les pompiers, les nôtres, doivent être Rimbaud, Mallarmé, Isidore Ducasse, et si vite, nous-mêmes. » […] Quel moulin, ce Reboul ! Mais il ne parle pas pour rien. Il attend une nouvelle renaissance classique, plus humaine, ayant assimilé Proust, Gide, Claudel, mais puisant à des sources populaires. Ce n’est pas si con…
Anne-Marie, de son côté, est plongée dans La Recherche. Il semble alors que le roman parvient au terme de son premier acte. Régis semble sur le point de gagner la partie : il a amené son ami Michel, violemment libertaire, à presque se soumettre à l’ordre Jésuite en acceptant un entretien avec un religieux. Certes, ce dernier n’est pas encore convaincu. Mais pour Régis, l’affaire est réglée : ce n’est plus qu’une question de temps. Hélas pour lui, il sous-estime grandement l’opposition qui divise les deux protagonistes.
Les Deux étendards est d’abord et avant tout l’histoire d’une opposition ; une opposition entre Michel et Régis, entre le Diable et le Christ, entre l’anarchisme et le nationalisme, entre le désir et le pur amour, entre l’agnosticisme et la foi, mais aussi entre Gide et Barrès, entre Nietzsche et saint Ignace, et, enfin, entre Maurras et Rebatet.