Histoire abrégée de la poésie française – Partie 1 – Du Moyen Âge au classicisme

Une allégorie de la poésie, huile sur toile par Eustache Le Sueur (1616-1655)
Une allégorie de la poésie, huile sur toile par Eustache Le Sueur (1616-1655)

Certains des récits les plus vieux du monde comme L’Épopée de Gilgamesh ou L’Iliade et l’Odyssée sont écrits en vers car la poésie est l’une des formes les plus naturelles de la littérature. Elle se distingue de la simple écriture en ce qu’elle transforme un texte en message artistique – c’est ce que Jakobson appelait la littérarité. La poésie est en effet avant tout une affaire de forme ; Paul Valéry la qualifiait d’hésitation prolongée entre le son et le sens, et Jean-Paul Sartre la résumait par cette formule sentencieuse : la prose se sert des mots, la poésie sert les mots. Puisque par sa forme seule la poésie se fait littérature il n’est pas étonnant qu’elle en ait été considérée, jusqu’au XVIIIè siècle, comme un genre majeur.
Arrêtons-nous un instant sur l’Antiquité avant de faire le tour de la poésie française au fil des siècles, car tout commence avec les Grecs – le terme lui-même vient du mot poiein qui signifie créer. Ceux-ci distinguaient les aèdes, qui composaient les épopées (le plus célèbre est Homère) et les rhapsodes qui les récitaient. Outre Homère, il faut retenir Ésope dont les Fables ont inspiré La Fontaine, Pindare, qui a composé les Odes, et bien sûr les dramaturges Eschyle, Sophocle et Euripide. Le vers latin était scandé comme le vers grec – c’est-à-dire prononcé de manière à marquer les temps forts. Des poètes latins nous évoquerons simplement Horace, Virgile qui a raconté les aventures d’Énée dans L’Énéide, et Ovide, qui a écrit Les Métamorphoses et L’Art d’aimer.
La chute de l’Empire romain d’Occident en 476 entraîne partout dans l’Europe une situation de crise peu propice aux arts. Par ailleurs, la France n’est pas encore pleinement affirmée. Nous retiendrons l’an mille pour commencer cet épitomé car c’est à partir de cette époque que la France, avec l’avènement d’Hugues Capet, commence peu à peu à prendre conscience de son identité.

1. Le Moyen Âge (Xè-XVè)

Outre le Cantilène de Sainte-Eulalie qui date du neuvième siècle, et qui est écrit dans une langue déjà très distante du latin, l’une des plus vieilles poésies écrites en vieux français qui nous soit parvenue est La Chanson de Roland, rédigée vers le onzième siècle par un auteur inconnu. Cette épopée raconte l’histoire du retour en France de l’armée de Charlemagne après le siège de Saragosse. La trahison de Ganelon entraîne l’attaque par surprise de l’arrière-garde ; Roland et Olivier luttent vaillamment avant de mourir sous les assauts ennemis, malgré l’appel du cor.

Durs sont les coups, cruel est le combat.
Bien grande perte il y a des chrétiens.
Celui qui vit Olivier et Roland
Frapper, tailler de leurs bonnes épées,
De bons guerriers pourra se souvenir !
Notre archevêque avec son épieu frappe.
Des païens morts on connaît bien le nombre,
Car c’est écrit dans les chartes et brefs.
La geste dit plus de quatre milliers.
A quatre chocs les Franks ont résisté ;
Mais le cinquième est cruel et funeste !
Tous sont occis, ces chevaliers français,
Soixante hormis, Dieu les a épargnés !
Ils se vendront bien cher avant qu’ils meurent.
(La Chanson de Roland, traduction Adolphe Avril 1877.)

Le cor de Roland inspirera longtemps l’art littéraire. Les Chansons de Geste, ces longues épopées écrites en décasyllabes et inspirées de la tradition antique – on pense à L’Énéide – sont typiques de la poésie de cette époque. Ce n’est qu’un peu plus tardivement que se développe véritablement la poésie lyrique. Celle-ci coïncide avec la fixation des formes poétiques ; les longues récitations sont peu à peu remplacées par les pastourelles, les ballades, les rondeaux et les virelais.
Beaucoup de poètes français ont écrit au cours du Bas Moyen Âge – à partir de 1200 et jusqu’au seizième siècle. Nous en retiendrons trois, qui sont emblématiques de cette époque féconde en littérature. Le premier est une femme : Marie de France. Cette poétesse compose, vers 1200, les Lais, un recueil de douze récits courts.

Il est ainsi de ces deux
Comme est le chèvrefeuille
Qui s’enroule au coudrier.
Quand il est ainsi enlacé
Enroulé autour du fût
Ensemble ils peuvent durer.
Mais qu’on vienne à les séparer
Et le coudrier meurt aussitôt
Et avec lui le chèvrefeuille.
Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous.
(« Le Lai du Chèvrefeuille », Marie de France.)

Le deuxième est un prince ayant vécu de 1394 à 1465 : Charles d’Orléans. Ce grand nom de la noblesse française est, pour le bonheur des lettres, fait prisonnier par les Anglais à la bataille d’Azincourt (1415). Il restera dans la geôle des Godons vingt-cinq ans durant. Il a écrit pendant sa captivité plus de quatre cents rondeaux.

Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s’est vêtu de broderies,
De soleil luisant, clair et beau.
Il n’y a bête ni oiseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie.
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent, d’orfèvrerie,
Chacun s’habille de nouveau :
Le temps a laissé son manteau.
(Rondeaux, de Charles d’Orléans)

Le troisième grand poète du Moyen Âge s’appelle François Villon. Villon est le poète de la mort :

Quiconque meurt, meurt à douleur.
Celui qui perd vent et haleine,
Son fiel se crève sur son cœur,
Puis sue Dieu sait quelle sueur.
Personne de ses maux l’allège :
Car enfants n’a, frère ni sœur,
Qui voudraient s’en porter garant.

Il a mené une vie dissolue faite de vols et de bagarres, a fini plusieurs fois en prison, et a bien failli être condamné à mort au cours de sa brève existence :

Pauvre je suis de ma jeunesse,
De pauvre et petite extraction,
Mon père eut fort peu de richesse,
Ni son aïeul, nommé Erace.
Pauvreté tous nous suit et trace :
Sur les tombeaux de mes ancêtres,
Les âmes desquelles Dieu embrasse,
On n’y voit couronnes ni sceptres.

Protégé par Charles d’Orléans, il a cependant écrit le Testament. Ce recueil contient deux des ballades les plus célèbres de la poésie française : « La Ballade des dames du temps jadis » (« Mais où sont les neiges d’antan ? ») et « La Ballade des pendus » :

Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est déjà dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Si frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ni que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Le seizième siècle voit sous l’influence de la Renaissance italienne un important bouleversement dans les arts français. La poésie subit aussi cette influence, et ses codes changent en profondeur.

2. La Renaissance (XVIè)

Pendant que l’Europe occidentale se remet difficilement de la chute de Rome, les Turcs constituent à l’est un vaste empire qui atteindra son apogée à la fin du seizième siècle. Leur extension les amène sous les murs de Constantinople, la capitale de l’Empire roman d’Orient : la ville est prise en 1453. Devant la menace, les savants s’enfuient en Italie avec les manuscrits des auteurs de l’Antiquité. Au même moment, Gutenberg invente l’imprimerie. Les livres – et notamment ceux des auteurs antiques redécouverts – se propagent à travers l’Europe : c’est la Renaissance.
La Renaissance fait naître en France deux poètes d’envergure : Ronsard et Du Bellay. Les deux amis s’associent en 1547, et fondent La Pléiade. Ce groupe se donne deux objectifs, inspirés du courant humaniste : 1° promouvoir la langue française en lui fixant des règles strictes et en l’utilisant plutôt que le latin, et 2° imiter les poètes latins et grecs en vue de les rivaliser et de les surpasser. Ils s’efforceront toujours d’obéir à ces règles. Du Bellay écrit même en 1549 un manifeste intitulé Défense et illustration de la langue française, qui promeut et défend les principes de la Pléiade : « sommes-nous donc moindres que les Grecs et Romains, qui faisons si peu de cas de notre langue ? »

L’arme principale utilisée par la Pléiade est le sonnet – poème constitué de deux quatrains suivis de deux tercets –, importé en France d’Italie par le poète Clément Marot. Du Bellay est principalement l’auteur de trois recueils intitulés L’Olive, Les Antiquités de Rome et Les Regrets. Il a écrit dans ce dernier livre – où il évoque sa déception ressentie devant la ville de Rome, alors en ruine – ce sonnet autobiographique demeuré célèbre :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine.
(Les Regrets, J. Du Bellay.)

Ronsard est quant à lui l’auteur de plusieurs recueils consacrés à ses déceptions amoureuses. Il a écrit Les Odes, Les Amours et La Franciade (où il abandonne le registre lyrique pour le registre épique). Ronsard est le poète du temps qui passe (« Mignonne, allons vois si la rose… »). Il se plaît à évoquer les ravages de la vieillesse, et compare volontiers ceux-ci aux roses qui fanent, comme dans ce poème consacré à Hélène :

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.
Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
(Sonnets pour Hélène, P. de Ronsard.)

Ou dans ce sonnet extrait des Amours :

Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose ;
La grâce est dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur ;
Mais battue, ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.
Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort, ton corps ne soit que roses.
(Les Amours, P. de Ronsard, 1560.)

La ville de Lyon aussi devient sous la Renaissance un important centre culturel. Des poètes de renom, comme Maurice Scève et Louise Labé, concurrencent la Pléiade parisienne :

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
(Sonnets, L. Labé.)

L’humanisme de la Renaissance s’éteint en France au début du dix-septième siècle, tandis qu’apparaît une nouvelle esthétique qui revendique sa modernité : le baroque.

3. Le baroque (début du XVIIè)

Les guerres de Religion qui déchirent la France à la fin du seizième siècle marquent les esprits et favorisent l’émergence d’une littérature engagée jusqu’à l’excès. Le mouvement baroque, qui atteint son apogée au début du dix-septième, naît de cette littérature ; il cherche à provoquer l’émotion par ses emphases, et son style maniériste, qui se veut plein d’exubérances et d’hyperboles, pratique volontiers le trompe-l’œil et la mise en abyme. Outre Corneille que nous laisserons au domaine strict du théâtre, trois poètes baroques sont particulièrement représentatifs de ce mouvement. Agrippa d’Aubigné, d’abord – qui illustre le baroque revendicatif –, un protestant qui écrit un long plaidoyer en faveur de sa religion intitulé Les Tragiques, dans lequel il maudit les catholiques et les princes, dénonce les cruautés de la guerre, et multiplie les références bibliques dans un style épique.

O France désolée ! ô terre sanguinaire !
Non pas terre, mais cendre : ô mère ! si c’est mère
Que trahir ses enfants aux douceurs de son sein,
Et, quand on les meurtrit, les serrer de sa main.
Tu leur donnes la vie, et dessous ta mamelle
S’émeut des obstinez la sanglante querelle ;
Sur ton pis blanchissant ta race se débat,
Et le fruit de ton flanc fait le champ du combat.
(Les Tragiques, A. d’Aubigné.)

Pierre de Marbeuf ensuite, représentatif avec Jean de Sponde, Pierre Motin, François Maynard ou Théophile de Viau du baroque précieux, celui des beautés.

Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
(Recueil de vers, P. de Marbeuf, 1628.)

Saint-Amant, enfin, qui représente avec Paul Scarron une esthétique que l’on pourrait qualifier de « baroque des excès ». Tandis que Scarron se moque de l’Énéide de façon parfois obscène dans son Virgile travesti, Saint-Amant publie, en 1628, un long poème qui glorifie le melon :

Quelle odeur sens-je en cette chambre ?
Quel doux parfum de musc et d’ambre
Me vient le cerveau réjouir
Et tout le cœur épanouir ?
Ha ! bon Dieu ! j’en tombe en extase :
Ces belles fleurs qui dans ce vase
Parent le haut de ce buffet
Feraient-elle bien cet effet ?
A-t-on brûlé de la pastille ?
N’est-ce point ce vin qui pétille
Dans le cristal, que l’art humain
A fait pour couronner la main,
Et d’où sort, quand on en veut boire,
Un air de framboise à la gloire
Du bon terroir qui l’a porté
Pour notre éternelle santé ?
[…]
Ô manger précieux ! Délices de la bouche !
Ô doux reptile herbu, rampant sur une couche !
Ô beaucoup mieux que l’or, chef-d’œuvre d’Apollon !
Ô fleur de tous les fruits ! Ô ravissant MELON !

La littérature baroque n’est pas au goût de l’austère et cynique François de Malherbe, poète de la Cour de 1605 à 1628. Dans son Commentaire sur Desportes, il corrige vers par vers la poésie du conseiller d’État. Il chasse les hiatus et les archaïsmes, veille aux césures et aux rimes, et préconise l’équilibre et la clarté au lieu de l’exubérance et de l’illusion. Il met ainsi un terme brutal à la poésie baroque.

4. Le classicisme (1660-1680)

François de Malherbe amène en France l’esthétique du classicisme, qui se caractérise par le développement d’un esprit moraliste, l’imitation des modèles antiques, et le respect accru des règles et des bienséances. Nicolas Boileau écrit :

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
(Art poétique, N. Boileau, 1674.)

Et il ajoute :

Les stances avec grâce apprirent a tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté.

Outre Molière et Racine, trois noms sont à retenir. François de Malherbe, d’abord, qui veut une poésie pure, claire et précise. Il met un terme brutal aux frasques du baroque. Ce magnifique sonnet sur la mort de son fils, par exemple, illustre parfaitement, par sa retenue toute classique en dépit de la gravité du sujet – ce que L. Spitzer appelait, chez Racine, « l’effet de sourdine » –, l’esthétique de cette époque – pleine de réserve et de gravité :

Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle,
Ce fils qui fut si brave, et que j’aimai si fort,
Je ne l’impute point à l’injure du sort,
Puisque finir à l’homme est chose naturelle.
Mais que de deux marauds la surprise infidèle
Ait terminé ses jours d’une tragique mort,
En cela ma douleur n’a point de réconfort,
Et tous mes sentiments sont d’accord avec elle.
Ô mon Dieu, mon Sauveur, puis que par la raison
Le trouble de mon âme étant sans guérison,
Le vœu de la vengeance est un vœu légitime,
Fais que de ton appui je sois fortifié :
Ta justice t’en prie, et les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t’ont crucifié.

Molière et Racine sont incontestablement les deux auteurs les plus connus de cette période – mais laissons-les au domaine strict du théâtre. Citons plutôt La Fontaine, dont les Fables inspirées d’Ésope sont un exemple du caractère moralisateur propre au classicisme.

Un pauvre bûcheron tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans,
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu’il faut faire.
C’est, dit-il, afin de m’aider
À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d’où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.
(Fables, J. de La Fontaine.)

Citons enfin Boileau qui, par son Art poétique – long poème en alexandrins dans lequel il édicte des normes d’écriture –, symbolise le retour aux règles qui distingue le classicisme du baroque.

Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle ;
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
(L’Art poétique, N. Boileau.)

La Fontaine meurt en 1695, et Boileau en 1711. Le classicisme – et même la poésie en général – ne survit pas à la venue du nouveau siècle qui voit l’émergence d’un nouveau courant : les Lumières.

 

Lectures conseillées :

  • La Chanson de Roland, auteur inconnu, traduction d’Adolphe Avril
  • Lais, M. de France
  • Rondeaux, C. d’Orléans
  • Le Testament, F. Villon
  • Les Regrets, J. Du Bellay
  • Sonnets, P. de Ronsard
  • Mon âme, il faut partir : anthologie de la poésie baroque française, J. Gimeno
  • Art poétique, N. Boileau
  • Fables, J. de La Fontaine
  • Poésies, F. de Malherbe

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